Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/357

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de l’imagination. J’ai pu combiner des circonstances pour remplacer celles qui m’échappaient. Mais ces combinaisons n’eurent jamais pour raison que l’envie de montrer la vérité d’un caractère ; enfin, je crois que l’on n’a jamais menti d’une façon plus véridique. Jean-jacques, dans un endroit de ses Confessions, a fait une déclaration assez semblable à celle-ci, autant qu’il me semble. Je dis que ma mémoire est très mauvaise. Il faut s’expliquer : la plus grande partie des images qu’elle a reçues s’y perd tout à fait, mais le peu qui y demeure est très net, et mon souvenir est un brillant musée.

Cette manière d’écrire sur mon enfance offre encore un avantage, qui est à mon sens le plus précieux de tous : c’est d’associer, si peu que ce soit, la fiction à la réalité. Je le répète : j’ai bien peu menti dans ces récits et jamais sur l’essentiel ; mais peut-être ai-je assez menti pour enseigner et plaire. La vérité n’a jamais été regardée nue. Fiction, fable, conte, mythe, voilà les déguisements sous lesquels les hommes l’ont toujours connue et aimée. Je serais tenté de croire que sans un peu de fiction le Petit Pierre eût déplu ; et c’eût été dommage, non pour