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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/185

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APOLOGIE POUR LE PLAGIAT.

naire pour épargner à son fils la menace de l’hérédité morbide et pour écarter l’obstacle qui sépare ce fils de la jeune fille qu’il aime. Nul doute sur ce point. Mais la recherche du plagiat mène toujours plus loin qu’on ne croit et qu’on ne veut. Cette situation que M. Maurice Montégut croyait, de bonne foi, son bien propre, on l’a retrouvée dans une nouvelle de M. Armand de Pontmartin, dont j’ignore le titre ; dans l’Héritage fatal de M. Jules Dornay ; dans le Dernier duc d’Hallali de M. Xavier de Montépin et dans un roman de M. Georges Pradel. Il ne faut pas en être surpris ; il serait étonnant, au contraire, qu’une situation quelconque ne se trouvât pas chez M. Pradel et chez M. de Montépin.

La vérité est que les situations sont à tout le monde. La prétention de ceux qui veulent se réserver certaines provinces du sentiment me rappelle une histoire qui m’a été contée récemment : Vous connaissez un paysagiste qui, dans sa vieillesse robuste, ressemble aux chênes qu’il peint. Il se nomme Harpignies, et c’est le Michel-Ange des arbres. Un jour, il rencontra, dans quelque village de Sologne, un jeune peintre amateur qui lui dit d’un ton à la fois timide et pressant :

— Vous savez, maître ; je me suis réservé cette contrée.

Le bon Harpignies ne répondit rien et sourit du sourire d’Hercule.

M. Maurice Montégut n’est point comparable assurément à ce jeune peintre. Mais il devrait bien se dire qu’une situation appartient non pas à qui l’a trouvée le