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LA VIE LITTÉRAIRE.

Car nos fautes n’ont pas mérité de supplices ;
Si nous avons failli, nous avons tant souffert !
Eh bien ! nous renonçons même à cette espérance
D’entrer dans ton royaume et de voir tes splendeurs ;
Seigneur nous refusons jusqu’à ta récompense,
Et nous ne voulons pas du prix de nos douleurs.

Nous le savons, tu peux donner encor des ailes
Aux âmes qui ployaient sous un fardeau trop lourd ;
Tu peux, lorsqu’il te plaît, loin des sphères mortelles
Les élever à toi dans la grâce et l’amour ;
Tu peux, parmi les chœurs qui chantent tes louanges,
À tes pieds, sous tes yeux, nous mettre au premier rang,
Nous faire couronner par la main de tes anges,
Nous revêtir de gloire en nous transfigurant,
Tu peux nous pénétrer d’une vigueur nouvelle,
Nous rendre le désir que nous avions perdu…
Oui, mais le Souvenir, cette ronce immortelle
Attachée à nos cœurs, l’en arracheras-tu ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Rappelez-vous les imprécations de l’homme à la nature :

Eh bien ! reprends-le donc ce peu de fange obscure,
Qui pour quelques instants s’anima sous ta main ;
Dans ton dédain superbe, implacable Nature,
Brise à jamais le moule humain !

De ces tristes débris, quand lu verrais, ravie,
D’autres créations éclore à grands essaims,
Ton Idée éclater en des formes de vie
Plus dociles à tes desseins.

Est-ce à dire que Lui, ton espoir, ta chimère,
Parce qu’il fut rêvé, puisse un jour exister ?
Tu crois avoir conçu, tu voudrais être mère ;
À l’œuvre ! Il s’agit d’enfanter.

Change en réalité ton attente sublime.
Mais quoi ! pour les franchir malgré tous tes élans,
La distance est trop grande et trop profond l’abime
Entre ta pensée et tes flanc ».