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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/70

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LA VIE LITTÉRAIRE.

Maria… Dis-nous, Marie, qu’as-tu vu sur ton chemin ?… » Je la retrouvais l’autre jour, cette parole liturgique, dans une revue de littérature et d’art, au début d’un de ces articles de critique morale qui trahissent le mysticisme de la génération nouvelle ; « Marie, qu’as-tu vu sur la route ? » répétait avec anxiété M. Paul Desjardins, ce jour de Pâques, en commençant d’écrire sur un des maîtres en qui la jeunesse a mis de grandes espérances[1].

Et ces pages, d’un accent si pur, d’un sentiment si généreux, témoignaient d’une telle inquiétude que j’en fus un peu troublé. Le Dic nobis, Maria y devenait la devise d’une palingénésie confuse, d’une religion indécise, d’un je ne sais quoi de meilleur qui va naître. Cet article de M. Desjardins est un signe, entre mille autres, du malaise de l’esprit nouveau.

Tout cela est bien trouble encore. Mais ii importe de suivre ce mouvement qui commence ; il faut le suivre avec sollicitude et dans cette humeur bienveillante qui nous pénétrait au moment d’écrire ces lignes. Nous nous attacherons à discerner la direction que prennent les jeunes intelligences. C’est aux plus fermes et aux plus sages d’essayer de conduire et d’éclairer ceux qui entrent aujourd’hui dans la vie intellectuelle. Je n’ai pas d’autre ambition pour ma part que de me débrouiller parmi ces nouveautés indécises. Je le dois, il le faut, puisqu’enfin j’écris, ce qui est terrible, quand on y songe.

  1. Le vicomte Eugène Melchior de Vogüé.