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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/72

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LA VIE LITTÉRAIRE.

des choses, les lois du monde qu’il importerait de connaître ? Et croyez-vous que vos découvertes en physiologie et en chimie vous aient mis sur la voie d’une seule vérité morale ?

Votre science ne peut aspirer à nous gouverner parce qu’elle est d’elle-même sans morale et que les principes d’action qu’on pourrait en tirer seraient immoraux.

Elle est inhumaine ; sa cruauté nous blesse ; elle nous anéantit dans la nature ; elle nous rapproche des animaux et des plantes en nous montrant ce qu’ils ont en commun avec nous, c’est-à-dire tout : les organes, la joie, la douleur et même la pensée. Elle nous montre perdus avec eux sur un grain de sable et elle proclame insolemment que les destinées de l’humanité tout entière ne sont pas quelque chose d’appréciable dans l’univers.

En vain, nous lui crions que nous retrouvons l’infini en nous. Elle nous apprend que la terre n’est pas même un globule dans cette veine d’Ouranos, que nous nommons la voie lactée ; elle nous fait rougir de honte et de confusion au souvenir du temps où nous nous croyions le centre du monde et le plus bel ouvrage de Dieu, nous qui, en réalité, tournons gauchement autour d’une médiocre étoile, un million de fois plus petite que Sirius.

Notre imperceptible canton de l’univers semble assez pauvre, autant que nous pouvons en juger. Il n’a qu’un soleil, tandis que beaucoup de systèmes en ont deux ou trois. Son astre central doit avoir peu d’éclat, vu des systèmes les plus voisins. Il est rougeâtre, ce qui est signe qu’il ne brûle plus avec l’énergie des jeunes étoiles