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LA VIE LITTÉRAIRE

nisme est choquant. Il faut rendre cette justice à M. Zola qu’il n’a rien fait pour l’atténuer. Il a laissé à l’entreprise financière sa couleur antisémite et sournoisement cléricale, son caractère troublant d’agio mystique. On l’en a repris avec raison. Notre confrère M. Augustin Filon lui a dit très joliment qu’en 1867 la guerre financière de religion était impossible, que, sous l’Empire, le catholicisme était d’autant plus impuissant qu’il était protégé et qu’alors, à la Bourse, « Dieu n’aurait pas fait un sou ».

Il n’y aurait que demi-mal si M. Zola ne prétendait pas à l’exactitude et à la vérité, s’il n’était pas le chef des naturalistes et s’il n’avait pas dit : « La littérature sera naturaliste ou elle ne sera pas. » C’est une parole que je lui reprocherais si je ne craignais qu’il n’y eût quelque duperie à disputer trop sérieusement du naturalisme avec M. Émile Zola, depuis que nous savons que M. Zola lui-même n’est pas persuadé plus que de raison de la vérité de ses doctrines. Le Journal des Goncourt, qui est un livre vraiment instructif, nous édifie à cet égard. On y voit qu’un jour, à table, sous la rose, attaqué dans ses théories littéraires par Gustave Flaubert, M. Zola répondit avec franchise qu’il réduisait volontiers son esthétique aux proportions d’une honnête réclame.

« Eh ! mon Dieu ! dit-il en propres termes, je me moque comme vous de ce mot naturalisme, et cependant je le répéterai parce qu’il faut un baptême aux choses, pour que le public les croie neuves… Voyez-vous, je fais deux parts dans ce que j’écris, il y a mes œuvres, avec lesquelles on me juge et avec lesquelles je désire être jugé ; puis, il y a mon feuilleton du Bien public, mes articles de Russie,