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L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE

c’est sacré. Qu’on examine, qu’on discute, mais qu’on tienne compte : dans dix ans, ce sera peut-être le Poète ! Moi, je mourrais inconsolable si je pouvais croire que j’aie jamais méconnu un véritable artiste ; et s’il est vrai qu’à un certain âge nous ne comprenons plus ceux qui nous suivent, nous portons là une des infirmités les plus lamentables, les plus désespérantes qui soient. »

Un tel langage fait honneur à celui qui l’a tenu. Pour moi, qui, mêlé je ne sais comment à cette affaire, fus pendant quelques mois secoué de beaucoup d’injures et de louanges, qu’on me permette de me rendre à moi-même ce témoignage, que j’ai parlé des nouveautés de l’art et de la poésie avec une sincérité profonde et une sympathie ingénue. J’ai relu l’article que j’ai publié ici même sur Jean Moréas et le Pèlerin passionné[1] ; j’ai relu l’interview que M. Jules Huret est venu me prendre, et je déclare que je n’ai rien à changer ni à cet article ni à cette interview. Au reste, les rythmes de M. Jean Moréas, comme ceux de M. Henri de Régnier et de tous les poètes qu’on appelle un peu vaguement les symbolistes, soulèvent des questions de prosodie très intéressantes sur lesquelles je compte revenir prochainement.

16 août 1891.
  1. Le Temps, 21 décembre 1890. Article repris dans la Vie littéraire, 4e série.