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LA VIE LITTÉRAIRE

envoyaient des billets empreints d’un mysticisme un peu badin, comme celui-ci qui nous a été conservé par Vilate :

Ô Gerle, cher fils Gerle, chéri de Dieu, digne amour du Seigneur, c’est sur ta tête, sur ce front paisible que doit être posé le diadème digne de ta candeur ; vis à jamais, cher frère, dans le cœur de tes deux petites sœurs. Elles t’engagent à venir déjeuner avec elles demain, jour de décadi, sur les neuf heures et demie, ni plus tôt ni plus tard. Mille choses agréables au cher fils de la part de ses deux colombes.

Mais il faut prendre ces douces paroles dans un sens spirituel. Dom Gerle avait des mœurs pures, puisque Robespierre lui délivra, sur sa demande, précisément au moment où nous sommes, un certificat de civisme. Qu’on parlât dès lors dans le galetas de la rue Contrescarpe avec de mystérieuses espérances de l’homme providentiel qui méditait d’instituer le culte de l’Être suprême, c’est ce dont il est difficile de douter. Mais Robespierre n’avait aucune attache avec Catherine Théot, dont il ignorait probablement l’existence.

Or il se trouva que « dans ses instincts de police, insatiablement curieux de faits contre ses ennemis, contre le Comité de sûreté, qu’il voulait briser » (je cite Michelet), furetant dans les cartons du Comité, il mit la main sur le dossier de la duchesse de Bourbon et l’emporta. Barère, Collot d’Herbois, Billaud-Varenne, qui le craignaient et le haïssaient, furent curieux de connaître les papiers qu’il avait ainsi soustraits et ils en firent faire des doubles.

Ils virent alors que l’affaire qui intéressait leur terrible collègue était une affaire d’illuminisme.