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ROBERT DE MONTESQUIOU

qui, précédé d’une longue théorie d’aïeux intellectuels, apparaît, dans le poème, comme un esthète dément, qui dormit sa vie dans un rêve d’art, sublime et coupable. Je citerai l’endroit oùle poète fait parler ce solitaire somptueux au moment même où il se réveille de la vie, la tête hors des eaux dormantes qui vont le recouvrir.

 
 
Il s’écriait : « En vain l’on veut que je déchoie,

Chouette de mon Ombre, Aigle de mon Soleil,
Moi, le Roi Solitaire et le Roi Nonpareil !
Moi, le Roi Lycanthrope et le Roi Lunatique !
Moi, le Sage Insensé ; moi, le Moderne Antique !
Je me couche aux rayons de mon astre chéri,
Vierge comme Sapho, grand cœur endolori
Dont le sourire mort attirait les colombes !…
Il me plaît, il me sied d’avoir ces flots pour tombes
Que la Lune d’argent laque de sa clarté,
Ô la magicienne et pallide Astarté
Qui rythma de mon cœur les battements insignes !
Et, quand ils cesseront, les Sirènes, les Cygnes,
Qu’émeut au fond des nuits ce dernier chant d’amour,
Viendront me soulever pour me conduire au jour
Du ciel crépusculaire où règnent mes amies.
Vertes Filles du Rhin, magiques Floramyes ;
Les Géants et les Nains Nibelungs, rois du Lied,

Qu’égaie incessamment l’oiselet de Siegfried.
 

Puis le poète se demande, avec le populaire, dont il aime les dictons, les proverbes et les maximes : que deviennent les vieilles lunes ? Où va tout ce qui a brillé, puis disparu ? Où vont les vieilles lunes de Trianon, de la Malmaison et des Tuileries, incendiées et rasées ? Dans sa pitié charmante, le poète leur donne un refuge à Venise, la vieille lune des villes. Puis, enfin, à l’aube du jour et de l’avenir, il cherche