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LA VIE LITTÉRAIRE

sur ton chemin ? — J’ai vu le sépulcre du Christ vivant, j’ai vu la gloire du Ressuscité. — Dis-nous, Marie, qu’as-tu vu sur ton chemin ? — Les angéliques témoins, le suaire et la robe. — Dis-nous, Marie, qu’as-tu vu sur ton chemin ? — Le Christ, mon espérance, est ressuscité. Il vous précède en Galilée. — Plus croyable est la seule et véridique Marie que la menteuse tourbe des Juifs. — Nous savons que le Christ est ressuscité d’entre les morts, vraiment : toi, victorieux Roi, aie pitié de nous !

M. de Gourmont admire avec raison l’éclatante fermeté de cette langue latine, forte et nette comme les grandes âmes de ces religieux qui la parlaient, qui la chantaient dans l’austère allégresse de leur cœur. Il craint seulement que son admiration ne soit pas assez partagée. M. Hauréau, particulièrement, l’inquiète. Je voudrais le rassurer. M. Hauréau a très bien parlé de saint Bernard. M. Émile Gebhart, tout sorbonniste qu’il est, possède avec tant de plénitude le latin mystique que quelque chose en coule parfois dans son style. Et je me permettrai de mettre sous les yeux de l’habile historien de l’antiphonaire une page judicieuse de M. Michel Bréal, qui prouve que la philologie moderne ne méprise pas la langue d’Albert le Grand et de sainte Hildegarde.

Considérant le latin du moyen âge M. Michel Bréal dit :

Il est la langue qui sert à tous les objets élevés de la vie. Ce latin-là, quand il en est question, nous avons aujourd’hui l’habitude de l’accompagner de quelque épithète désobligeante : nous disons que c’est un latin barbare, nous l’appelons le bas latin. Barbare, si l’on veut ; mais il avait une grande qualité, c’est qu’il était vivant…

Nous reprochons aux docteurs du treizième siècle d’avoir employé des termes que Cicéron n’aurait pas compris ; mais ils ne s’adressaient pas à Cicéron ; ils s’adressaient à leurs contemporains. Pour nommer des