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JOSÉ-MARIA DE HEREDIA

Maria de Heredia, des tableaux d’histoire d’un style large et d’une riche couleur. Je me suis laissé aller tout à l’heure à vanter les vers de ce poète dans le langage réservé à la critique d’art. C’est aussi que les facultés de M. José-Maria de Heredia sont celles d’un peintre et qu’il peint ses sonnets. Si jamais homme au monde connut l’univers sous les catégories de la forme et de la couleur, ce fut lui.

Il ne veut savoir du monde que la beauté plastique, et de la vie que les jeux de la lumière sur les figures des hommes, des animaux, des arbres, des rochers et de la mer. Il est armé d’un œil sûr ; il a une incomparable puissance de vision, qu’il sait exercer dans le domaine du rêve. C’est par là qu’il est poète. Il voit les conquérants de la Nouvelle-Castille, il voit Cléopâtre, il voit un consul romain, il voit Andromède, Hercule, avec la même netteté qu’il voit un vieux berger breton debout à la pointe du Raz. Contours des figures, mouvement des draperies, colorations, jeux de la lumière, il a tout saisi, tout fixé. Ce qui est caché aux yeux ne l’intéresse guère et le mystère des âmes ne le trouble point. Ce n’est pas qu’il manque d’émotion ni même parfois d’une sorte de mélancolie. Il y a çà et là dans ses vers un sentiment douloureux de la destruction irréparable des belles formes et comme une poésie des ruines. Il sent l’écoulement des choses et nous en donne une impression plus profonde peut-être que celle qu’il a lui-même ressentie. Je pourrais citer de lui vingt sonnets qui devraient avoir pour épigraphe le vers de son maître, Pierre de Ronsard :

La matière demeure et la forme se perd.