Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les ruses de la nature. Plaignons-les et ne les blâmons pas ! Quant aux robes de soie, il n’est pas de jeune femme qui ne les aime. Les filles d’Ève adorent la parure. Vous-même, Thérèse, qui êtes grave et sage, quels cris vous poussez quand il vous manque un tablier blanc pour servir à table ! Mais, dites-moi, ont-ils le nécessaire dans leur grenier ?

— Et comment l’auraient-ils, monsieur ? me répondit ma gouvernante ; le mari, que vous venez de voir, était courtier en bijouterie, à ce que m’a dit la concierge, et on ne sait pas pourquoi il ne vend plus de montres. Vous venez de voir qu’il vend maintenant des almanachs. Ce n’est pas là un métier honnête, et je ne croirai jamais que Dieu bénisse un marchand d’almanachs. La femme, entre nous, m’a tout l’air d’une propre à rien, d’une Marie-couche-toi-là. Je la crois capable d’élever un enfant comme moi de jouer de la guitare. On ne sait d’où cela vient, mais je suis certaine qu’ils arrivent par le coche de Misère du pays de Sans-Souci.

— D’où qu’ils viennent, Thérèse, ils sont malheureux, et leur grenier est froid.

— Pardi ! le toit est crevé en plusieurs endroits