Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/108

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J’ai passé toute la journée à classer des manuscrits. Le soleil entrait par les hautes fenêtres sans rideaux et j’entendais, à travers mes lectures, parfois très intéressantes, les bourdons alourdis heurter pesamment les vitres, les boiseries craquer et les mouches, ivres de lumière et de chaleur, ronfler des ailes en cercle sur ma tête. Vers trois heures, leur bourdonnement fut tel que je levai la tête de dessus un document fort précieux pour l’histoire de Melun au xiiie siècle, et je me mis à considérer les mouvements concentriques de ces bestioles ou « bestions », comme dit La Fontaine, qui puisa cette forme dans le vieux fonds populaire, d’où vient l’expression de « tapisserie à bestions », c’est-à-dire à figurines. Je dus constater que la chaleur agit sur les ailes d’une mouche tout autrement que sur le cerveau d’un archiviste paléographe, car j’éprouvais une grande difficulté à penser et une torpeur assez agréable dont je ne sortis que par un effort violent. La cloche, qui sonna le dîner, me surprit au milieu de mes travaux et je n’eus que le temps d’endosser ma houppelande neuve pour paraître décemment devant madame de Gabry.

Le repas, amplement servi, se prolongea de lui-