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Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/129

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mari ne vous avait pas déjà parlé de Jeanne. Nous l’aimons beaucoup, et c’est une bonne enfant. Dites vrai, comment trouvez-vous sa statuette ?

Je répondis que c’était un ouvrage plein d’esprit et de goût, mais qu’il manquait à l’auteur l’étude et la pratique ; qu’au reste j’étais touché au possible de ce que de jeunes doigts eussent brodé de la sorte sur le canevas d’un bonhomme, et figuré d’une façon si brillante les songeries d’un vieux radoteur.

— Si je vous demande ainsi votre avis, reprit gravement madame de Gabry, c’est que Jeanne est une pauvre orpheline. Croyez-vous qu’elle puisse gagner sa vie à faire des statuettes comme celle-ci ?

— Pour cela, non ! répondis-je ; et il n’y a pas trop à le regretter. Cette demoiselle est, dites-vous, affectueuse et tendre ; je vous en crois et j’en crois son visage. La vie d’artiste a des entraînements qui font sortir de la règle et de la mesure les âmes généreuses. Cette jeune créature est pétrie d’une argile aimante ; gardez-la pour le foyer domestique. Là seulement est le vrai bien.

— Mais elle n’a pas de dot ! me répondit madame de Gabry.