Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/181

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côté la même observation et je suis fière de m’être rencontrée avec vous. Cette jeune fille m’inspire en vérité beaucoup d’intérêt. Elle a ce que j’appelle un heureux caractère. Mais pardonnez-moi d’abuser de vos précieux moments.

Elle appela la servante qui se montra plus empressée et plus effarée que devant et qui disparut sur l’ordre d’avertir mademoiselle Alexandre que M. Sylvestre Bonnard, membre de l’Institut, l’attendait au parloir.

Mademoiselle Préfère n’eut que le temps de me confier qu’elle avait un profond respect pour les décisions de l’Institut quelles qu’elles fussent, et Jeanne parut, essoufflée, rouge comme une pivoine, les yeux grands ouverts, les bras ballants, charmante dans sa gaucherie naïve.

— Comme vous êtes faite, ma chère enfant ! murmura mademoiselle Préfère, avec une douceur maternelle, en lui arrangeant son col.

Jeanne était faite, il est vrai, d’une bien étrange façon. Ses cheveux, tirés en arrière et pris dans un filet duquel ils s’échappaient par mèches, ses bras maigres, enfermés jusqu’au coude dans des manches de lustrine, ses mains rouges d’engelures et dont elle semblait fort embarrassée, sa