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Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/196

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m’inspirent et m’animent. C’est pourquoi j’aime Paris d’un immense amour.

Et pourtant je suis las, et je sens qu’on ne peut se reposer au sein de cette ville qui pense tant, qui m’a appris à penser et qui m’invite sans cesse à penser. Comment n’être point agité au milieu de ces livres qui sollicitent sans cesse ma curiosité et la fatiguent sans la satisfaire ? Tantôt, c’est une date qu’il faut chercher, tantôt un lieu qu’il importe de déterminer précisément ou quelque vieux terme dont il est intéressant de connaître le vrai sens. Des mots ? — Eh ! oui, des mots. Philologue, je suis leur souverain ; ils sont mes sujets, et je leur donne, en bon roi, ma vie entière. Ne pourrai-je abdiquer un jour ? Je devine qu’il y a quelque part, loin d’ici, à l’orée d’un bois, une maisonnette où je trouverais le calme dont j’ai besoin, en attendant qu’un plus grand calme, irrévocable celui-là, m’enveloppe tout entier. Je rêve un banc sur le seuil et des champs à perte de vue. Mais il faudrait qu’un frais visage sourît près de moi pour refléter et concentrer toute cette fraîcheur ; je me croirais grand-père et tout le vide de ma vie serait comblé.