Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/221

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que nous pourrons. Je la conduirai dans les musées et…

Elle hésita, puis en rougissant :

— … et chez vous, si vous le permettez.

— Comment donc ! m’écriai-je. Mais voilà une excellente idée.

Nous nous quittâmes fort amis l’un de l’autre. Moi d’elle parce que j’avais obtenu ce que je souhaitais ; elle de moi, sans motif appréciable, ce qui, selon Platon, la met au plus haut degré de la hiérarchie des âmes.

Pourtant, c’est avec de mauvais pressentiments que j’introduis cette personne chez moi. Et je voudrais bien que Jeanne fût en d’autres mains que les siennes. Maître Mouche et mademoiselle Préfère sont des esprits qui passent le mien. Je ne sais jamais pourquoi ils disent ce qu’ils disent, ni pourquoi ils font ce qu’ils font ; il y a en eux un fond mystérieux qui me trouble. Comme Jeanne me le disait tout à l’heure : on est inquiet de ce qu’on ne comprend pas.

Hélas ! à mon âge on sait trop combien la vie est peu innocente ; on sait trop ce qu’on perd à durer en ce monde et l’on n’a de confiance qu’en la jeunesse.