Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/232

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rire qui devait être très sarcastique, attends : je t’en vais accabler, il te rompra les bras, puis la cervelle. C’est la première vengeance de Sylvestre Bonnard. Nous aviserons ensuite.

Quand je rentrai dans la cité des livres, j’entendis M. Gélis et mademoiselle Jeanne causer ensemble, s’il vous plaît, comme les meilleurs amis du monde. Mademoiselle Préfère, pleine de retenue, ne disait rien, mais les deux autres jasaient comme des oiseaux. Et de quoi ? Du blond vénitien ! Oui, du blond vénitien ! Ce petit serpent de Gélis donnait à Jeanne, d’après les textes authentiques, le secret de la teinture dont les femmes de Titien et de Véronèse trempaient leur chevelure. Et mademoiselle Jeanne donnait gentiment son avis sur le blond de miel et le blond d’or. Je devinai que ce coquin de Vecellio était de l’affaire, qu’on s’était penché sur le livre et qu’on avait admiré ensemble la dogaresse de tantôt ou quelqu’autre patricienne de Venise.

N’importe ! Je parus avec mon énorme bouquin, pensant que Gélis ferait la grimace. C’était la charge d’un commissionnaire et j’en avais les bras endoloris. Mais le jeune homme le souleva