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Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/263

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trois pieds, grinça du quatrième et devint presque manchot des deux bras. C’est alors qu’on s’écria : « Quel solide fauteuil ! » On admirait que, n’ayant pas un bras vaillant et pas une jambe d’aplomb, il gardât figure de fauteuil, se tînt à peu près debout et fît encore quelque service. Le crin lui sortit du corps, il rendit l’âme. Et quand Cyprien, notre domestique, lui scia les membres pour le mettre au bûcher, les cris d’admiration redoublèrent : « L’excellent, le merveilleux fauteuil ! Il fut à l’usage de Pierre-Sylvestre Bonnard, marchand drapier, d’Épiménide Bonnard son fils et de Jean-Baptiste Bonnard, chef de la 3e division maritime et philosophe pyrrhonien. Quel vénérable et robuste fauteuil ! » En réalité c’était un fauteuil mort. Eh bien, docteur, je suis ce fauteuil. Vous me jugez solide parce que j’ai résisté à des assauts qui auraient tué tout à fait bon nombre de gens et qui ne m’ont tué, moi, qu’aux trois quarts. Grand merci. Je n’en suis pas moins quelque chose d’irrémédiablement avarié.

Le docteur veut me prouver à l’aide de grands mots grecs et latins que je suis en assez bon état. Le français est trop clair pour une démonstration