Aller au contenu

Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/282

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

large et à serrer sa main carrée. Nous passâmes tous quatre dans la salle à manger et pendant qu’on servait à Jeanne de la viande froide, à laquelle elle ne touchait pas, je contai notre affaire. Paul de Gabry me demanda la permission de fumer sa pipe, puis il m’écouta silencieusement. Quand j’eus fini, il gratta sur ses joues sa barbe courte et drue et poussa un formidable « sacrebleu ». Mais remarquant Jeanne qui tournait alors de lui à moi ses grands yeux effarés il ajouta :

— Nous causerons de cela demain matin. Venez dans mon cabinet : je veux vous montrer un vieux bouquin dont vous me direz des nouvelles.

Je le suivis dans son cabinet, où brillaient à la lueur des lampes, sur la tenture sombre, des carabines et des couteaux de chasse. Là, m’entraînant sur un canapé de cuir :

— Qu’avez-vous fait, me dit-il, qu’avez-vous fait, grand Dieu ! Détournement de mineure, rapt, enlèvement ! Vous vous êtes mis une belle affaire sur les bras. Vous êtes tout bonnement sous le coup de cinq à dix ans de prison.

— Miséricorde, m’écriai-je ! dix ans de prison pour avoir sauvé une innocente enfant !