Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/47

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bien que l’homme soit naturellement mauvais, car toute cette joie étrangère m’attristait profondément. Cette foule étalait un goût si naïf de la vie que toutes mes pudeurs de vieux scribe s’en effarouchaient. Puis, j’étais désespéré de ne rien comprendre aux paroles qui résonnaient dans l’air. C’était pour un philologue une humiliante épreuve. J’étais donc fort maussade, quand quelques mots prononcés derrière moi me firent dresser l’oreille.

— Ce vieillard est certainement un Français, Dimitri. Son air embarrassé me fait peine. Voulez-vous que je lui parle ?… Il a un bon dos rond, ne trouvez-vous pas, Dimitri ?

Cela était dit en français par une voix de femme. Il me fut assez désagréable tout d’abord de m’entendre traiter de vieillard. Est-on un vieillard à soixante-deux ans ? L’autre jour, sur le pont des Arts, mon collègue Perrot d’Avrignac me fit compliment de ma jeunesse, et il s’entend mieux en âges, apparemment, que cette jeune corneille qui babille sur mon dos. Mon dos est rond, dit-elle. Ah ! ah ! j’en avais quelque soupçon ; mais je n’en crois plus rien depuis que c’est l’avis d’une petite folle. Je ne tournerai certes pas la