Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/64

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a rendu les escopettes tout à fait ridicules, et c’est un grand malheur pour une jeune femme d’être tuée avec une arme ridicule. Mais parlez-moi d’une lame de couteau, d’une lame bien blanche et bien froide qui fait sentir dans le cœur un frisson.

Elle frissonna en parlant ainsi, ferma les yeux et renversa la tête. Puis elle reprit :

— Vous êtes heureux, vous ! vous vous intéressez à toutes sortes de choses.

Elle regarda de côté et vit son mari qui parlait à l’aubergiste. Alors elle se pencha vers moi et me dit tout bas :

— Dimitri et moi, nous nous ennuyons, voyez-vous ? Il nous reste les boîtes d’allumettes. Mais on se lasse même des boîtes d’allumettes. D’ailleurs notre collection sera bientôt complète. Que ferons-nous alors ?

— Ah ! madame, dis-je, attendri par la misère morale de cette jolie personne, si vous aviez un fils, vous sauriez que faire. Le but de votre vie vous apparaîtrait et vos pensées seraient en même temps plus graves et plus consolantes.

— J’ai un fils, me répondit-elle. Il est grand, c’est un homme ; il a onze ans, et il s’ennuie. Oui,