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qui les représentent. Il n’y a pour moi dans le monde que des mots, tant je suis philologue ! Chacun fait à sa manière le rêve de la vie. J’ai fait ce rêve dans ma bibliothèque, et, quand mon heure sera venue de quitter ce monde, Dieu veuille me prendre sur mon échelle, devant mes tablettes chargées de livres !

— Eh ! c’est pardieu bien lui ! Bonjour, monsieur Sylvestre Bonnard. Où donc alliez-vous, battant la campagne de votre pied léger, tandis que je vous attendais devant la gare avec mon cabriolet ? Vous m’aviez échappé à la sortie du train et je rentrais bredouille à Lusance. Donnez-moi votre sac et montez en voiture près de moi. Savez-vous bien qu’il y a, d’ici au château, sept bons kilomètres ?

Qui me parle ainsi, à pleins poumons, du haut de son cabriolet ? M. Paul de Gabry, neveu et héritier de M. Honoré de Gabry, pair de France en 1842, récemment décédé à Monaco. Et c’était précisement chez M. Paul de Gabry que je me rendais avec ma valise bouclée par ma gouvernante. Cet excellent jeune homme venait d’hériter, conjointement avec ses deux beaux-frères, des biens de son oncle qui, issu d’une très ancienne