Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/114

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Quelques mois plus tard, sur la fin de cette année 1659, Molière donna les Précieuses ridicules, le premier ouvrage dans lequel il eût montré les mœurs du temps. Car jusque-là il n’avait mis sur la scène que des masques. Pour son coup d’essai, il s’attaquait à des coteries puissantes. « La pièce parut friande, dit Loret, à plusieurs, tant sages que fous. » Et le gazetier ajoute :




Pour moi, j’y portai trente sous ;
Mais, oyant leurs fines paroles,
J’ay ri pour plus de dix pistoles[1].


Un personnage, qui fréquentait les ruelles, eut assez de crédit, paraît-il, pour faire suspendre pendant quelques jours les représentations. Mais la pièce, reprise le 2 décembre, alla aux nues. Les ennemis de Molière, pour se consoler, juraient que tout le succès était dû aux bouffonneries du comédien ; et Saumaise, dans sa préface des Précieuses ridicules nouvellement mises en vers, accordait à Molière « la vanité d’être le premier farceur de France ».

L’enthousiasme du public pour les Précieuses fut vif et durable. Il n’était pas encore attiédi à la rentrée de Pâques 1660. Le 29 juillet, on les joua pour le roi à Vincennes, et, le 30 août suivant, pour Monsieur au Louvre. Le roi la vit de nouveau au Louvre le 21 octobre. Il la revit encore, cinq jours après, chez le cardinal Mazarin. Voici comment Loret rend compte de cette représentation :



  1. La Muse historique, lettre du 6 décembre 1659.