Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/213

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par la ville quand il rencontra d’aventure un M. Muztel, gazetier et homme de bien, qui fumait la pipe de porcelaine, en famille, sous une tonnelle. Il se trouva que cet homme était le frère d’un régent de collège que Bernardin avait eu. Il paraît que M. Muztel, dans sa candeur, offrit au chevalier la main d’une parente et mille écus pour écrire dans la gazette. Mais le chevalier ne fut point détourné de sa république par l’espoir de dire en famille la vérité aux Hollandais. Il n’accepta de M. Muztel qu’un peu d’argent pour se rendre à Lubeck. Il y alla et y emprunta encore deux cents livres. On n’est point ménager de sa dette quand on va fonder un État.

C’était le temps où Catherine, la jeune femme de Pierre III, entrée dans les complots de la princesse Daschkoff, prenait, après le meurtre de Pierre, la couronne de czarine. Catherine, libre d’esprit, avait vécu comme une serve, confondue dans le troupeau des concubines, sous le fouet d’un czar ivre. Pendant sa jeunesse opprimée elle fit une expérience que font rarement les têtes royales. Elle connut la condition du vulgaire et le poids de la servitude. Comme à Frédéric, la misère lui donna des leçons d’empire.

En France, les philosophes saluèrent l’avènement de l’impératrice qui devait abolir la torture et préparer l’affranchissement des serfs. Toutes les ambitions qui languissaient dans les greniers sans feu de Paris se réveillèrent, se tournèrent vers la « Sémiramis du Nord ». On voit que le chevalier de Saint-Pierre ne fut pas des derniers à rouler ses plans et à boucler sa maigre valise. S’étant embarqué pour Pétersbourg, il