Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/215

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ques bons endroits qu’il comptait bien réciter à l’impératrice. Le jour tant souhaité vint enfin. Le sous-lieutenant fut conduit dans une galerie magnifique, au milieu de seigneurs éblouissants d’or, de cordons et de pierreries. Une porte s’ouvrit, un grand silence se fit et l’impératrice parut. Elle tendit à l’officier d’aventures une belle main qu’il baisa, un genou en terre, comme il convenait. Elle lui dit quelques mots gracieux et elle passa. Il n’avait pas ouvert la bouche. C’en était fait de son Atlantide et de l’âge d’or qui y devait régner.

Il passa quatre ans en Russie, au service d’un gouvernement qu’il ne voulait pas servir, aigri, impatient et nourrissant de nouvelles chimères. Enfin, il rendit son brevet et gagna la Pologne. Catherine voulait donner pour roi aux Polonais un amant dont elle était lasse, Poniatowski. Ce choix plaisait à Frédéric de Prusse, par cela même qu’il humiliait la Pologne. Les seigneurs polonais résistèrent à la volonté étrangère. Radziwil, palatin de Wilna, un géant, un sauvage, vêtu de la peau d’un ours qu’il avait étouffé dans ses bras, sortit des forêts de Lithuanie et appela à la liberté la patrie dont il semblait l’image héroïque. Saint-Pierre, tombé à Varsovie, y vit quelques seigneurs étincelants de soie et de fourrures, répandant un éclat oriental au milieu de leurs janissaires, de leurs spahis et de leurs uhlans. Il vit, couchés la nuit, dans les escaliers des riches, par troupes, des gentilshommes à moustaches, pauvres et vains, et tout à l’entour, sur la glèbe, des serfs stupides de misère. À Varsovie, où il n’y avait ni pavés ni lanternes, une parente de