Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/256

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mère, se tenait plus près qu’elle des enfants, leur consacrait toutes les forces de son humble cœur. René fut un adolescent silencieux.

Sa belle tête carrée travaillait dans la solitude, amassait des images et s’éprenait des formes de ses rêves. Il fit dans sa province, sous de vieux régents de collège, à sa guise, des mathématiques, de l’escrime et du latin. 11 avait un génie hautain, quelque chose d’âpre dans le goût, une mémoire infaillible, une imagination riche et sombre et de l’avidité pour la gloire.

Au sortir du collège, il revint porter à Combourg sa mélancolie précoce. Il était triste jusqu’à la mort, car, s’il faut se fier à son propre aveu, un jour, dans les bois, il appuya sur son front le canon de son fusil de chasse.

Ce n’est pas la foi qui le retint au bord du suicide : il avait peu de religion alors, et celle qu’il se donna depuis ne pénétra jamais dans l’intimité de ses actes et de ses pensées. Mais il dut avoir, au moment décisif, une vue confuse, une brusque intuition de son éclatante destinée. Il fallait bien que René vécût. D’ailleurs sa mélancolie n’était pas sans attraits ; son ennui était un ennui enchanté. Si tous les feux de l’adolescence le consumaient dans la solitude, il savait parfumer le brasier de toutes les essences de la poésie. Quand il s’étendait sur l’herbe ou dans une barque, un livre à la main, l’étang et la lande se peuplaient de voluptueuses images ; il y voyait les héroïnes des poèmes et des romans qu’il lisait ; il voyait surtout la Délia de Tibulle, la Pécheresse du sermon de Massil-