Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/283

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Navarre, la supérieure, lui donna une cellule qui avait vue sur le jardin où les religieuses se promenaient entre les carrés de légumes.

Dans ses longues journées de réclusion, elle criait cent fois : « Seigneur, hâtez-vous de m’exaucer, car mon esprit tombe dans la défaillance ! »

Elle écrivit à son frère une lettre désespérée. « Ma vie, y disait-elle, jette sa dernière clarté. » Elle y rappelait les années de leur enfance et de leur première jeunesse, avec une secrète crainte d’être seule à se les rappeler si bien.

Il vint la voir. 11 la trouva qui se promenait dans le jardin avec M’"8 de Navarre. Elle monta dans sa chambre pour l’y recevoir. Il fut effrayé : c’était une fatigue pour elle de ressaisir, d’assembler ses idées ; elle avait, par intervalles, un mouvement convulsif des lèvres.

« Je crois, dit-elle, que le couvent me fait mal. » Elle parlait de prendre un logement isolé près du Jardin des Plantes. Ce fut le dernier désir de la malade.

Elle reçut encore une fois la visite de René, qui partait avec sa femme pour Vichy. Elle le reconduisit sur le palier et le regarda descendre, pendant qu’il lui disait : « Adieu ! chère sœur ; soigne-toi bien. Ecris-moi. J’espère que l’hiver prochain tu consentiras à vivre avec nous. »

Mais ils savaient bien tous deux que c’était impossible. Au reste, il n’était plus permis à Lucile de pousser si loin ses projets.

Elle mourut à trois mois de là, le 9 novembre 1804,