Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/286

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destinée. 11 plongea les hommes dans un trouble délicieux, et toutes les femmes aimèrent le poète.

Le charme était rompu, les langues se déliaient ; la poésie coulait à flots. Ce furent d’abord, mais discrètement répandus, les Poèmes antiques et modernes d’Alfred de Vigny, puis les Odes et Ballades de Victor Hugo et les vers des deux Deschamps, sans compter Delavigne pour les moins délicats et Beranger pour tous.

Au milieu de cette magnifique éclosion, si dans la foule des admirateurs se trouvait quelque jeune poète en espérance, il était en même temps enthousiasmé et découragé. Il désespérait de se faire entendre après de si grandes voix et de si heureuses. C’était le cas pour lui de soupirer ce refrain du vieux temps :

Nous n’irons plus au bois, Les lauriers sont coupés…

En effet, il était déjà difficile, vers 1826, à un poète nouveau de parvenir à ia célébrité. Tous les lieux communs (on n’est jamais célèbre que par des lieux communs) étaient ou devaient être bientôt épuisés par les Lamartine et les Hugo. Tout ce qui emplissait alors les têtes : Napoléon, la chute des trônes, la mélancolie, l’amour triste et la religion sentimentale, tout cela était déjà dit.

Il y avait place encore, il est vrai, pour un poète intime, contenu, familier, sachant le fond des choses et les traitant par le menu avec une vérité en même temps fidèle et relevée.