Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/325

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et souriant, sur la bancelle, devant le feu de branchages de la grande cheminée. Bientôt il put s’asseoir au banc du seuil, sous la maigre vigne, le dos appuyé au mur tiédi par le soleil humide du printemps, et là rimer, songer, regretter peut-être les brasseries du quartier latin et les cabarets des grandes routes. Mortellement atteint, il goûtait des heures de rémission, quand la guerre éclata. Les armées allemandes, en s’étendant sur Paris, chassèrent loin devant elles, entre autres fugitives, une jeune orpheline, Américaine de naissance, Française d’éducation, qui, deux ans auparavant, avait connu le poète vagabond à Nice, où elle vivait avec son frère. Quand Mlle Emma Dennie s’installa à Beaumesnil, Glatigny en sortit. Nous saurons tout à l’heure le secret de cette fuite, nous verrons que le pauvre garçon pouvait dire comme le héros de son ennemi Racine :

« Si je la haïssais, je ne la fuirais pas ! »

Je ne sais rien de plus touchant que l’histoire du mariage de Glatigny, telle qu’on la trouve dans les lettres qu’il écrivit à M. Garien, frère de l’orpheline. Je transcris les lettres d’après les originaux qui m’ont été communiqués gracieusement par M. Garien lui-même.

« Beaumesnil, 14 décembre 1870.

« Mon cher Garien,

« Il vient de se passer un grand événement. Nous nous sommes aperçus, Emma et moi, que nous nous aimions, et le premier confident de cet amour, c’est vous. Elle veut bien

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