Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/329

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aux fiancés une lettre que je n’ai pas, mais que je devine, et dont le sentiment affectueux et grave répondit admirablement à l’amour profond du poète et de la sœur. Qu’elle fut sage et bonne, cette lettre, cette double lettre (car il y avait une page pour l’un et une page pour l’autre), qu’elle fut bien venue ! la réponse que j’ai sous les yeux n’est qu’un cri de joie, une poussée de bonne gaieté, un bon rire entre des larmes : la famille du fiancé était en deuil et Albert Glatigny pleurait son cousin Albert Dupont, pauvre enfant mort pour la patrie. Glatigny n’a d’yeux que pour son Emma. Cette gracieuse Parisienne se mêla, à ce que je vois, de cuisine normande : elle voulut faire fondre du beurre dans un plat d’étain, c’est le plat qui fondit. Et voilà notre amoureux dans l’enchantement’. Comme c’est bien ainsi que vont les heures quand on s’aime ! et comme il est vrai que les plus grandes amours sont composées, minute par minute, de petites aventures pareilles à celle du plat d’étain.

La lettre suivante exprime la même joie, mais réfléchie et méditée.

« Beaumesnil, 7 janvier 1871.

« Nous attendions votre lettre avec impatience, afin de savoir où vous écrire. Ici, nous allons tous bien. La joie a fait pour moi plus qu’une année de remèdes. Emma boit de l’eau de goudron comme un ange, et ça lui fait un bien dont elle se ressent… »

Je m’arrête, et le lecteur s’arrêtera avec moi pour sentiF tout ce qu’il a de charmant et de pénible dans

1. Lettre du 101 janvier.