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Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/155

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— Quel est ce Chotard qui te fait sourire ?

— Je vais vous le dire. Si je vous ennuie, faites semblant d’écouter et laissez-moi croire que ce n’est pas à lui-même que l’entêté conteur conte ses histoires.

« J’avais quatorze ans et j’étais en troisième. Mon professeur, qui se nommait Chotard, avait le teint fleuri d’un vieux moine, et c’en était un.

» Frère Chotard, après avoir été une des plus douces ouailles du bercail de saint François, jeta en 1830 le froc aux orties et prit l’habit des laïques sans réussir toutefois à le porter avec élégance. Quelle raison eut frère Chotard d’agir ainsi ? Les uns disent que ce fut l’amour : les autres disent que ce fut la peur, et qu’après les Trois Glorieuses, le peuple souverain ayant jeté quelques trognons de choux aux capucins de ***, le frère Chotard sauta par-dessus les murs du couvent, pour épargner à ses persécuteurs un aussi gros péché que de malmener un capucin.

» Ce bon frère était un savant homme. Il prit ses grades, donna des leçons et vécut tant et si bien qu’il grisonnait des cheveux, florissait