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Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/163

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voit ; car ce petit bonhomme est une ombre ; c’est l’ombre du moi que j’étais il y a vingt-cinq ans. Vraiment, il m’intéresse, ce petit : quand il existait, je ne me souciais guère de lui ; mais, maintenant qu’il n’est plus, je l’aime bien. Il valait mieux, en somme, que les autres moi que j’ai eus après avoir perdu celui-là. Il était bien étourdi ; mais il n’était pas méchant et je dois lui rendre cette justice qu’il ne m’a pas laissé un seul mauvais souvenir ; c’est un innocent que j’ai perdu : il est bien naturel que je le regrette ; il est bien naturel que je le voie en pensée et que mon esprit s’amuse à ranimer son souvenir.

Il y a vingt-cinq ans, à pareille époque, il traversait, avant huit heures, ce beau jardin pour aller en classe. Il avait le cœur un peu serré : c’était la rentrée.

Pourtant, il trottait, ses livres sur son dos, et sa toupie dans sa poche. L’idée de revoir ses camarades lui remettait de la joie au cœur. Il avait tant de choses à dire et à entendre ! Ne lui fallait-il pas savoir si Laboriette avait chassé pour de bon dans la forêt de l’Aigle ? Ne lui fallait-il pas répondre qu’il avait, lui,