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Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/18

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fit jamais un pas vers mon lit. Une force les retenait visiblement aux murs le long desquels ils glissaient sans présenter une épaisseur appréciable. Cela me rassurait un peu ; d’ailleurs, je veillais. Ce n’est pas en pareille compagnie, vous pensez bien, qu’on ferme l’œil. Je tenais mes yeux ouverts. Et pourtant (cela est un autre prodige) je me retrouvais tout à coup dans la chambre pleine de soleil, n’y voyant que ma mère en peignoir rose et ne sachant pas du tout comment la nuit et les monstres s’en étaient allés.

— Quel dormeur tu fais ! disait ma mère en riant.

Il fallait, en effet, que je fusse un fameux dormeur.

Hier, en flânant sur les quais, je vis dans la boutique d’un marchand de gravures un de ces cahiers de grotesques dans lesquels le lorrain Callot exerça sa pointe fine et dure et qui se sont faits rares. Au temps de mon enfance, une marchande d’estampes, la mère Mignot, notre voisine, en tapissait tout un mur, et je les regardais chaque jour, en allant à la pro-