Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/190

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Mais, à cinq ou six kilomètres de Saint-Jean, je la trouvai moins mauvaise, et, malgré un vent furieux qui se leva et la neige qui me cinglait le visage, je pris le galop. Les arbres qui bordaient la route fuyaient à mes côtés comme des ombres difformes et douloureuses dans la nuit. Ils étaient horribles, ces arbres noirs, la tête coupée, couverts de tumeurs et de plaies, les bras tordus. On les nomme dans le bas Maine des émousses. Ils me faisaient une sorte de peur, à cause de ce qu’un vicaire de Saint-Marcel d’Ernée m’avait conté la veille. Un de ces arbres, m’avait dit le vicaire, un de ces vieux mutilés du Bocage, un châtaignier étêté depuis plus de deux cents ans et creux comme une tour, fut fendu du haut en bas par la foudre, le 24 février 1849. Alors, à travers la fente, on vit dedans un squelette d’homme qui se tenait tout debout, ayant à son côté un fusil et un chapelet. Sur une montre trouvée aux pieds de cet homme, on lut le nom de Claude Nozière. Ce Claude, grand-oncle de mon père, fut en son vivant contrebandier et brigand. En 1794, il prit part à la chouannerie, dans la bande de Treton, dit