Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/95

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Elle se nommait de Laville et avait porté le deuil du roi. Pendant les quatre mois qu’ils furent enfermés ensemble, elle ne cessa de quereller son compagnon et de s’ingénier à lui rendre service. Contre leur attente, on ne leur coupa point la tête ; ils furent relaxés sur un rapport du député Battelier, et madame de Laville devint par la suite la meilleure amie de ma grand’mère, qui était alors âgée de vingt et un ans et mariée depuis trois ans au citoyen Danger, adjudant-major d’un bataillon de volontaires du Haut-Rhin.

— C’est un fort joli homme, disait ma grand’mère, mais je ne serais pas sûre de le reconnaître dans la rue.

Elle assurait ne l’avoir jamais vu, en tout, plus de six heures en cinq fois. Elle l’avait épousé par une idée d’enfant, afin de pouvoir porter une coiffure à la nation. En réalité, elle ne voulait point de mari. Et lui, voulait toutes les femmes. Il s’en alla ; elle le laissa aller sans lui en vouloir le moins du monde.

En partant pour la gloire, Danger laissait pour tout bien à sa femme, dans le tiroir d’un secrétaire, des reçus d’argent d’un sien frère,