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Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/154

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d’hôtel présenta le bassin d’argent, tendit les mains pour recevoir l’eau parfumée de l’aiguière. C’était un vase ciselé et une coupe à double fond que miss Bell faisait passer, selon l’usage antique, à ses convives, après le repas.

— Je me lave les mains, dit-il du mal que madame Martin fait ou peut faire par ses paroles ou autrement.

Et il se leva, farouche, après miss Bell, qui sortait de table au bras du professeur Arrighi.

Dans le salon, elle dit, en servant le café :

— Monsieur Choulette, pourquoi nous condamnez-vous aux tristesses sauvages de l’égalité ? Pourquoi ? La flûte de Daphnis ne chanterait pas bien, si elle était faite de sept roseaux égaux. Vous voulez détruire les belles harmonies du maître et des serviteurs, de l’aristocrate et des artisans. Oh ! vous êtes un barbare, monsieur Choulette. Vous avez de la pitié pour les nécessiteux et vous n’avez pas de pitié pour la divine Beauté que vous exilez de ce monde. Vous la chassez, monsieur Choulette, vous la répudiez nue et pleurante. Soyez-en sûr ; elle ne restera pas sur la terre quand les pauvres petits hommes seront tous faibles, chétifs, ignorants. Oh ! défaire les groupes ingénieux que forment dans la société les hommes de conditions diverses, les humbles avec les magnifiques,