Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/2

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comme si cette aimable femme, qu’elle examinait et qui ne lui déplaisait pas, vivait sans joie aiguë et sans tristesse profonde.

Aux murs du grand salon vide et muet, les figures des tapisseries, vagues comme des ombres, pâlissaient parmi leurs jeux antiques, en leurs grâces mourantes. Comme elles, les statuettes de terre cuite élevées sur des colonnettes, les groupes de vieux Saxe et les peintures de Sèvres, étagées dans les vitrines, disaient des choses passées. Sur un socle garni de bronzes précieux, le buste de marbre de quelque princesse royale, déguisée en Diane, le visage chiffonné, la poitrine audacieuse, s’échappait de sa draperie tourmentée, tandis qu’au plafond une Nuit, poudrée comme une marquise et environnée d’Amours, semait des fleurs. Tout sommeillait et l’on n’entendait que le pétillement du feu et le bruissement léger des perles dans la gaze.

S’étant détournée de la glace, elle alla soulever le coin d’un rideau et vit par la fenêtre, à travers les arbres noirs du quai, sous un jour blême, la Seine traîner ses moires jaunes. L’ennui du ciel et de l’eau se réfléchissait dans ses prunelles d’un gris fin. Le bateau passa, l’« Hirondelle », débouchant d’une arche du pont de l’Alma et portant d’humbles voyageurs vers Grenelle et Billancourt. Elle le suivit du regard tandis qu’il déri-