Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/227

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mauvais. J’avais sur les lèvres de douces paroles. Elles mentaient. Je me sentais au dedans de moi-même votre adversaire et votre ennemi, je vous haïssais. En vous voyant sourire, j’ai eu envie de vous tuer.

— Vraiment ?

— Oh ! madame, c’est un sentiment très naturel, et que vous avez dû inspirer bien des fois. Mais le vulgaire l’éprouve sans en avoir conscience, tandis que mon imagination vive me représente sans cesse à moi-même. Je contemple mon âme, parfois splendide, souvent hideuse. Si vous l’aviez vue en face ce soir-là, vous auriez crié d’épouvante.

Thérèse sourit :

— Adieu, monsieur Choulette, n’oubliez pas ma médaille de sainte Claire.

Il posa sa valise à terre ; et levant le bras, l’index dressé, comme qui montre et enseigne :

— Vous n’avez rien à craindre de moi. Mais celui que vous aimerez et qui vous aimera vous fera du mal. Adieu, madame.

Il reprit ses bagages et sortit. Elle vit sa longue forme rustique disparaître derrière les cytises du jardin.

Dans l’après-midi, elle alla à San-Marco, où Dechartre l’attendait. Elle désirait et craignait de le revoir si tôt. Elle ressentait une angoisse