Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

 

Ils marchaient au hasard. Elle devint songeuse :

— Oui, la morale, je sais, le devoir !… Mais le devoir, c’est le diable pour le découvrir. Je vous assure que, les trois quarts du temps, je ne sais vraiment pas où il est, le devoir. C’est comme le hérisson de Miss, à Joinville : nous passions la soirée à le chercher sous les meubles ; et quand nous l’avions trouvé, nous allions nous coucher.

Selon lui, il y avait du vrai dans ce qu’elle disait là, et plus même qu’elle ne le croyait. Il y pensait quand il était seul.

— C’est à ce point, que je regrette quelquefois de n’être pas resté dans l’armée. Je prévois ce que vous allez me dire. On s’abrutit dans ce métier-là. Sans doute, mais on sait exactement ce que l’on a à faire, et c’est beaucoup dans la vie. Je trouve que l’existence de mon oncle, le général de La Briche, est une très belle existence, toute d’honneur, et assez agréable. Mais, maintenant que le pays tout entier s’engouffre dans l’armée, il n’y a ni officiers ni soldats. Cela ressemble à une gare, le dimanche, quand les employés poussent en voiture les voyageurs ahuris. Mon oncle de La Briche connaissait personnellement tous les officiers et tous les soldats de sa brigade. Il a encore leurs noms sur un grand tableau dans sa salle à manger. Il les relit de temps en temps