Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/377

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empire trop souverain pour laisser aux maîtres de chair autre chose qu’une puissance de papier et un empire de paroles. Et, ce qui est plus merveilleux encore, c’est que les peuples croient aussi qu’ils ont d’autres chefs d’État et d’autres ministres que leurs misères, leurs désirs et leur imbécillité. Il était sage, celui qui a dit : « Donnons aux hommes pour témoins et pour juges l’Ironie et la Pitié. »

— Mais, Monsieur Vence, dit madame Martin en riant, c’est vous-même qui avez écrit cela. Je vous lis.

Cependant les deux ministres cherchaient vainement le général dans la salle et dans les couloirs. Sur le conseil des ouvreuses, ils passèrent dans les coulisses, et, à travers les décors qui s’élevaient et s’abaissaient, dans la foule des jeunes Allemandes en jupe rouge, des sorcières, des démons, des courtisanes de l’antiquité, ils gagnèrent le foyer de la danse. La vaste salle, ornée de peintures allégoriques, presque déserte, avait cet air de gravité que donnent à leurs institutions l’État et la fortune.

Deux danseuses se tenaient immobiles, un pied sur la barre qui règne le long des murs. Çà et là des hommes en habit noir et des femmes en jupe courte et bouffante formaient des groupes silencieux.