Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/45

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d’origine et de tendances, il plut à l’Empereur par son application et par une exacte probité qui savait n’être pas importune. Deux ans, il fut sous une pluie de faveurs. En 1813, il fit partie de cette majorité modérée qui approuva le rapport dans lequel M. Lainé, donnant à l’Empire chancelant des leçons tardives, censurait à la fois la puissance et le malheur. Le 1er janvier 1814, il accompagna ses collègues aux Tuileries. L’Empereur leur fit un accueil effrayant. Il chargea dans leurs rangs. Violent et sombre, dans l’horreur de sa force présente et de sa chute prochaine, il les accabla de sa colère et de son mépris.

Il allait et venait dans leurs lignes consternées, quand, tout à coup, il saisit au hasard le comte Martin par les épaules, le secoua, le traîna, en s’écriant : « Un trône, c’est quatre morceaux de bois recouverts de velours ? Non ! un trône c’est un homme, et cet homme c’est moi ! Vous avez voulu me jeter de la boue. Est-ce le moment de me faire des remontrances quand deux cent mille Cosaques franchissent nos frontières ? Votre M. Lainé est un méchant homme. On lave son linge sale en famille. » Et tandis que sa fureur se répandait, sublime ou triviale, il tordait dans sa main le collet brodé du député de l’Aisne. « Le peuple me connaît. Il ne