Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/47

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qua discrètement parmi ces quatre ou cinq bourgeois titrés et riches qui, ralliés à la démocratie et à la République, furent reçus sans trop de mauvaise grâce par les républicains de carrière, que flattait l’aristocratie des noms et rassurait la médiocrité des esprits.

Dans la salle à manger, où, sur les portes, se devinait çà et là, au milieu des ombres, le poil tacheté des chiens d’Oudry, devant le surtout semé d’étoiles et d’abeilles d’or, entre les deux Victoires portant des lumières, le comte Martin-Bellème faisait les honneurs de sa table avec cette bonne grâce un peu morne, cette politesse triste, naguère encore désignée à l’Élysée pour représenter, auprès d’une grande cour du Nord, la France isolée et recueillie. Il adressait, de temps en temps, de pâles paroles, à droite, à madame Garain, la femme de l’ancien garde des sceaux ; à gauche, à la princesse Seniavine, qui, chargée de diamants, s’ennuyait à crier. Vis-à-vis de lui, de l’autre côté de la corbeille, la comtesse Martin, ayant à ses côtés le général Larivière et M. Schmoll, de l’Académie des inscriptions, caressait des souffles de son éventail ses épaules fines et pures. Aux deux demi-cercles, où se prolongeait la table, étaient rangés M. Montessuy, robuste, l’œil bleu et le teint coloré, une jeune cousine, madame Bellème de Saint-Nom, embar-