Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/49

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qu’on peut tout au plus changer la couleur des timbres-poste. Bonnes ou mauvaises, les choses sont ce qu’elles doivent être. Oui, ajouta-t-il, les choses sont ce qu’elles doivent être. Mais elles changent sans cesse. Depuis 1870 la situation industrielle et financière du pays a traversé quatre ou cinq révolutions que les économistes n’avaient pas prévues et qu’ils ne comprennent pas encore. Dans la société comme dans la nature, les transformations s’opèrent par le dedans.

En matière de gouvernement, il s’en tenait aux vues courtes et nettes. Fortement attaché au présent et peu soucieux de l’avenir, les socialistes ne le troublaient guère. Sans s’inquiéter si le soleil et le capital s’éteindraient un jour, il en jouissait. Selon lui, il fallait se laisser porter. Il n’y avait que les imbéciles qui résistaient au courant, et que les fous qui le devançaient.

Mais le comte Martin, triste par nature, avait de sombres pressentiments. Il annonçait à mots couverts des catastrophes.

Ses paroles craintives vinrent, à travers les fleurs de la corbeille, émouvoir M. Schmoll, qui commença de gémir et de prophétiser. Il expliqua que les peuples chrétiens étaient incapables, seuls et par eux-mêmes, de sortir tout à fait de la barbarie, et que, sans les Juifs et les Arabes, l’Europe serait encore aujourd’hui, comme aux