Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/63

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humanité ; il a cette charité froide qu’on nomme l’altruisme. Il n’est pas humain parce qu’il n’est pas sensuel.

— Ah ! Il faut être sensuel pour être humain ?

— Certainement, madame. La pitié est dans les entrailles comme la tendresse est sur la peau. Il n’est pas assez intelligent pour douter. Il est croyant. Il croit ce qu’il a lu. Et il a lu que pour établir le bonheur universel il suffisait de détruire la société. La soif du martyre le dévore. Un matin, ayant embrassé sa mère, il sort ; il va guetter le député socialiste de son arrondissement, le voit, se jette sur lui et lui enfonce un burin dans le ventre en criant : « Vive l’anarchie ! » On l’arrête, on le mesure, on le photographie, on l’interroge, on le juge, on le condamne à mort et on le guillotine. Voilà mon roman.

— Il ne sera pas très amusant, dit la princesse. Mais ce n’est pas de votre faute : vos anarchistes sont aussi timides et modérés que les autres Français. Les Russes, quand ils s’y mettent, ont plus d’audace et de fantaisie.

La comtesse Martin vint demander à Paul Vence s’il connaissait ce monsieur très doux, qui ne disait rien et promenait autour de lui ses regards de chien perdu. C’est son mari qui l’avait invité. Elle ne savait de lui ni son nom, ni rien.