Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/8

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

 

Il se remit et demanda :

— Et vos poètes, madame ?

Il avait peine à pardonner à madame Martin son goût pour des gens qui écrivaient et n’étaient pas de son monde.

— Oui, vos poètes ? Qu’est devenu ce M. Choulette, qui vous fait des visites en cache-nez rouge ?

— Mes poètes, ils m’oublient, ils m’abandonnent. Il ne faut compter sur personne. Les hommes, les choses, rien n’est sûr. La vie est une trahison suivie. Il n’y a que cette pauvre miss Bell qui ne m’oublie pas. Elle m’a écrit de Florence et envoyé son livre.

— Miss Bell, n’est-ce pas cette jeune personne qui a l’air, avec ses cheveux jaunes frisottés, d’un petit chien d’appartement ?

Il calcula de tête et fut d’avis qu’elle devait bien avoir trente ans à cette heure.

Une vieille dame, portant avec une dignité modeste sa couronne de cheveux blancs, et un petit homme vif, l’œil fin, entrèrent coup sur coup : madame Marmet et M. Paul Vence. Puis, très roide, un carreau dans l’œil, parut M. Daniel Salomon, l’arbitre des élégances. Le général s’esquiva.

On parla du roman de la semaine. Madame Marmet avait plusieurs fois dîné avec l’auteur, un homme jeune et très aimable. Paul Vence trouvait le livre ennuyeux.