Page:Anatole France - Le Mannequin d’osier.djvu/166

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qui ne distillait ni venins terribles ni poisons rares.

Madame Bergeret était précisément faite pour vivre en bonne intelligence avec un compagnon qu’elle trahissait et qu’elle opprimait dans la sereine exubérance de ses forces et dans le fonctionnement naturel de ses organes. Elle était sociable par richesse de chair et par défaut de vie intérieure. M. Bergeret, soudain retranché de sa vie, lui manqua comme un mari absent manque à une bonne femme. De plus, cet homme fluet, qu’elle avait toujours jugé insignifiant et négligeable, mais non point incommode, maintenant lui faisait peur. M. Bergeret, en la tenant pour un néant absolu, lui donnait à elle-même l’impression qu’elle cessait d’exister. Elle sentait le vide se faire en elle. Elle s’abîmait dans la tristesse et dans l’effroi de cet état nouveau, inconnu, sans nom, qui participait de la solitude et de la mort. Le soir, son angoisse devenait cruelle, car elle