Aller au contenu

Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/164

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

soumis à une discipline salutaire et pourra jouer avec ses petits camarades.

En entendant ces paroles, je me rappelai le conseil donné à maman par ma tante Chausson et je désirai un frère pour n’être pas mis en pension et aussi pour l’aimer et en être aimé.

Je savais qu’un frère était donné par la nature, et, sans connaître les conditions dans lesquelles ce don était fait aux familles aimées du ciel, j’étais certain que rien, pour le produire, ne peut suppléer à cette force qui fait germer les plantes et fleurir la vie sur la terre. J’avais un obscur et profond sentiment de cette puissance mystérieuse qui me nourrissait, après m’avoir mis au monde ; et je distinguais parfaitement les travaux de cette Cybèle que j’adorais sans la nommer, des ouvrages les plus merveilleux des hommes. J’aurais cru très facilement qu’un magicien est capable de fabriquer un homme qui se meut, qui parle, qui mange, mais je n’aurais jamais admis que cet homme fût de la même substance qu’un homme naturel. Bref, je renonçai à l’idée d’avoir jamais un frère selon la chair et je résolus de demander à l’adoption ce que la nature me refusait.