Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/195

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quel cimetière est la tombe de Gomboust, j’irais souffler ces mots dans les herbes qui la recouvrent : « Où est maintenant ton trésor ? »

Ainsi j’appris, dès ma plus tendre enfance, à connaître la race des hommes de loi et des hommes d’affaires, race immortelle : tout change autour d’eux et ils demeurent semblables à eux-mêmes. Ils sont tels aujourd’hui que Rabelais les a peints ; ils ont gardé leur bec, leurs griffes ; ils ont gardé jusqu’à leur affreux grimoire.

Cinq ans environ après ces mauvais jours, auxquels succédèrent pour nous des temps plus sereins, étant au collège, M. Triaire, notre professeur, nous donna à expliquer l’épisode des Harpies, dans l’Énéide. Ces oiseaux funestes, ces vautours à tête humaine qui, fondant sur la table du pieux Énée et de ses compagnons, enlevaient les viandes, souillaient les mets et répandaient une odeur infecte, plus expérimenté que mes Condisciples, je les connaissais, je savais que c’étaient des gens d’affaires et des gens de loi, des Gomboust, des Rampon. Mais combien cette caverne des harpies, que Virgile nous montre empestée de fiente et de chairs dégouttantes, est propre et