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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/223

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sortit. Son port était noble et sa démarche assurée.

J’éprouvai une grande surprise en apprenant que cet aimable vieillard était l’oncle Hyacinthe dont je n’avais entendu parler qu’avec effroi et réprobation, qui portait partout la ruine et le désespoir, l’oncle Hyacinthe enfin, la terreur et l’opprobre de la famille. Mes parents lui avaient fermé leur porte. Mais Hyacinthe, après dix ans de silence, venait d’annoncer à ma mère, par une lettre touchante, sa résolution de se retirer dans un hameau de son pays natal, si elle pourvoyait aux frais du voyage et d’une modeste installation. Il se faisait fort d’y subsister en administrant les propriétés d’un frère de lait avec lequel il restait en excellents termes. Et ma mère, trop crédule, sourde aux conseils de mon père, consentit le prêt.

À quelque temps de là, elle apprit que l’oncle Hyacinthe, ayant dissipé dans la débauche l’argent reçu pour un autre usage, tenait l’emploi de comptable chez un marchand d’hommes de la rue Saint-Honoré. Ainsi nommait-on ceux qui fournissaient, moyennant salaire, des remplaçants aux jeunes gens riches, peu désireux d’être soldats. Les marchands